Exclusif : Souveraineté numérique : L’Afrique à l’épreuve du contrôle des données

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Alors que le numérique prend une place croissante dans l’organisation des sociétés, la souveraineté numérique devient un enjeu crucial pour les États africains. Pour Jules Hervé Yimeumi, président de l’organisation Africa Data Protection, le continent doit impérativement reprendre le contrôle de ses données pour éviter de subir des dépendances stratégiques.

« Aujourd’hui, les pays africains dépendent majoritairement de fournisseurs étrangers pour le cloud, les logiciels et les réseaux », constate-t-il. Cette dépendance fragilise les États. Les données, souvent hébergées en dehors du continent, échappent aux juridictions nationales. Or, pour Yimeumi, « celui qui détient l’accès et le traitement des données dispose d’un véritable levier géopolitique, économique et sécuritaire ».

Face à cet enjeu, une quarantaine de pays africains se sont dotés de lois sur la protection des données personnelles, inspirées du modèle européen du RGPD. Des autorités de régulation ont été créées, comme au Togo ou en Zambie. « C’est encourageant, mais la mise en œuvre reste inégale », souligne le président d’Africa Data Protection. Il pointe un manque de moyens, une faible coordination régionale, et des écarts juridiques qui compliquent la coopération entre États.

L’Union africaine avait tenté d’y répondre avec la Convention de Malabo, adoptée en 2014. Mais ce texte peine à s’imposer. « Trop peu de pays l’ont ratifiée. Sans cadre commun, il est difficile d’imaginer une souveraineté numérique à l’échelle continentale », déplore Yimeumi.

Un autre axe stratégique concerne l’hébergement local des données. Pour cela, il faut d’abord créer un environnement réglementaire attractif : lois claires, incitations fiscales, et soutien aux acteurs du cloud africain. Mais ce n’est pas tout. « Il faut investir dans les infrastructures, la cybersécurité, l’énergie, la connectivité », rappelle Yimeumi. Des pays comme le Kenya, le Maroc ou l’Afrique du Sud avancent déjà dans ce sens, en se positionnant comme hubs numériques régionaux.

Mais la souveraineté numérique ne peut se résumer à des lois et des datacenters. Elle passe aussi par la sensibilisation. « C’est encore le maillon faible », reconnaît Jules Hervé Yimeumi. Des campagnes éducatives ont été lancées par certaines autorités pour informer les citoyens de leurs droits numériques. Des formations se développent aussi dans les entreprises et les administrations. Mais pour le président d’Africa Data Protection, il faut aller plus loin : « intégrer ces questions dans les programmes scolaires, accompagner les startups, renforcer la coopération entre États pour partager les bonnes pratiques ».

Dans un monde façonné par la donnée, l’Afrique ne peut se contenter d’être un simple marché numérique. Elle doit devenir un acteur souverain, capable de maîtriser ses infrastructures, ses outils et surtout, ses données. « Celui qui ne contrôle pas ses données ne contrôle pas sa souveraineté », conclut Jules Hervé Yimeumi.

Manal Boukhal

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